jeudi 13 juin 2013

ALGÉRIE • Quand le matraqué devient matraqueur

ALGÉRIE Quand le matraqué devient matraqueur


Un commentaire sarcastique sur le projet gouvernemental d’embaucher de jeunes chômeurs dans la police et la gendarmerie.

Dessin de Krauze paru dans The Guardian, Londres.

Cela commence comme un film comique, une comédie burlesque plutôt. Un sketch. Une histoire que l’opinion publique algérienne aime autant qu’elle la déteste, observant, investiguant sur le sujet entre la fascination et la répulsion.

Les solutions proposées par l’Etat ­algérien contre le chômage massif des jeunes sont dignes, en effet, d’être adaptées en films par Mr. Bean. Même l’humoriste britannique n’aurait pas inventé des fictions aussi absurdes et hilarantes. Au départ, on a cru à une plaisanterie funeste. Mais, au final, c’est bel et bien vrai. Oui, l’Etat algérien dans toute sa splendeur a imaginé un plan judicieux contre le chômage des jeunes. Il leur propose enfin du boulot. Quoi comme boulot ? Policiers ou gendarmes !

Oui, depuis le déclenchement de la vague de contestation [en mars dernier] des jeunes chômeurs dans le sud de l’Algérie, les autorités ont promis de fournir des emplois à ces infortunés chômeurs qui n’en finissent pas de raser les murs à force de ne rien faire. Mais en Algérie, construire des usines, financer des projets industriels, mettre en place des chaînes de production, encourager le tourisme ou l’artisanat, ­identifier des créneaux qui permettent à nos jeunes de concrétiser leur créativité, toutes ces options stratégiques ne trouvent aucun preneur.

Devenir policier ou gendarme, voila les seuls débouchés que l’Etat offre à des jeunes appelés à matraquer leurs frères après avoir été eux-mêmes matraqués par la police et la gendarmerie lorsqu’ils ont manifesté à maintes reprises pour réclamer du travail. Le matraqué devient matraqueur en Algérie. Et celui qui reçoit des coups bénéficie par la suite d’un généreux salaire pour frapper, à son tour, ceux qui souffrent de la misère sociale. Recevoir et donner des coups.

La paix sociale. Cette logique implacable régit la société et les institutions politiques en Algérie. Alors on transpose ce modèle socio-culturel à l’échelle de l’économie. Pour résorber le chômage, il faut d’abord tabasser les chômeurs. Et ensuite, on les recrute pour les intégrer dans les rangs d’une police déjà en sureffectif. Mais peu importe. L’Algérie dispose d’une extraordinaire manne financière. Et à défaut de développer le pays, on achète la paix sociale. Les chômeurs, on les transforme en policiers. Et les policiers en professionnels de la bastonnade et de la traque des défenseurs des causes justes. Le Sud, dépourvu d’une ­infrastructure économique digne de ce nom, sera donc revigoré grâce à l’implantation d’un grand nombre de nouveaux commissariats. D’ores et déjà, la Direction générale de la sécurité nationale (DGSN) a prévu le recrutement de 12 000 nouveaux policiers dans les wilayas du Sud. On prévoit également une autre opération de recrutement pour la gendarmerie nationale.

Les milliers de chômeurs du Sud seront ainsi embrigadés pour devenir policiers ou gendarmes. Un fabuleux destin ? Non, certainement pas, car l’Algérie ne profitera jamais de la vitalité, de la créativité et du dynamisme de cette jeunesse à laquelle elle offre un gourdin et un pistolet au lieu d’une machine de production ou d’un micro-ordinateur avec lesquels nos jeunes auraient pu contribuer à la création de la richesse nationale. Tout cela démontre, enfin, l’impuissance criarde de nos dirigeants à se montrer à la hauteur face à la crise sociale qui terrasse l’Algérie. A la lucidité de la bonne gouvernance, ils ont préféré la barbarie ludique d’une pensée politique archaïque. Et force est de constater que la frontière du pire est sans cesse repoussée. L’imagination, avec nos gouvernants prodiges, demeure toujours en panne.

Abdou Semmar
Publié le 9 mai

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