mercredi 5 février 2020

Bí mật bị bật mí.

Bí mật bị bật mí

Coronavirus : comment ce médecin chinois a été réduit au silence après avoir donné l’alerte

Li Wenliang, 34 ans, a mis en garde ses contacts dès le 30 décembre sur une potentielle épidémie à venir. Mais les autorités chinoises l’ont accusé de propager des rumeurs.




 Wuhan (Chine), le 4 février 2020. Un membre du personnel médical récupère des échantillons sur un patient pour savoir s’il est atteint du nouveau coronavirus.
Wuhan (Chine), le 4 février 2020. Un membre du personnel médical récupère des échantillons sur un patient pour savoir s’il est atteint du nouveau coronavirus. AFP/STR



















C'est une petite bombe qu'a lâchée Li Wenliang ce 30 décembre 2019. Un message diffusé sur WeChat -la messagerie instantanée la plus populaire en Chine- et destiné à ses camarades de médecine. L'ophtalmologue de 34 ans y affirme que sept personnes semblent contaminées par le Sras et qu'elles sont en quarantaine dans l'hôpital où il travaille, à Wuhan.
Ces quelques mots inquiètent : l'épidémie de Sras (syndrome respiratoire aigu sévère), apparue en 2002 en Chine, a tué 349 personnes dans le pays et 774 au niveau mondial. « Tellement effrayant, répond un des destinataires du message. Le Sras est-il en train de revenir? »
Li Wenliang vient en fait de donner l'alerte sur un nouveau coronavirus, qui sera officiellement identifié par les autorités chinoises comme le 2019 n-CoV le 7 janvier. Depuis, l'épidémie a fait 492 victimes, dont 490 en Chine, et infecté plus de 24 500 personnes. L'ophtalmologue fait aujourd'hui parti des contaminés.

«J'ai compris que j'allais être puni»

Dans son message, il conseille à ses amis de prévenir leurs proches des dangers de cette maladie. Il précise ensuite, dans un second texte, que le virus n'est pas le Sras mais un nouveau type de coronavirus. Mais les captures d'écran de son premier message deviennent virales en quelques heures. « Quand je les ai vues circuler en ligne, j'ai compris que ça devenait hors de contrôle et que j'allais être puni », raconte le médecin à CNN.
Dans la nuit du 30 au 31 décembre, les autorités sanitaires de Wuhan le convoquent et lui demandent pourquoi il a partagé cette information. Le 31, le gouvernement chinois signale à l'Organisation mondiale de la santé que plusieurs cas de pneumonie d'allure virale ont été déclarés dans la ville de Wuhan. Le marché de Huana, d'où serait partie l'épidémie, ferme le 1er janvier.
Li Wenliang n'est pas tiré d'affaire pour autant. Depuis 2016, pour lutter contre la propagation des fake news, Pékin a criminalisé la conception et la diffusion de rumeurs en ligne. « Sauf que, dans un régime autoritaire comme la Chine, toute information qui n'est pas validée par les autorités peut être considérée comme fausse, même si elle est vraie… » explique au Parisien Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et maître de conférences à Sciences Po - USPC.
Le 3 janvier, la police convoque à son tour l'ophtalmologue : elle l'accuse d'avoir « répandu des rumeurs en ligne » et « perturbé gravement l'ordre social ». Le trentenaire doit signer une déclaration dans laquelle il reconnaît son « délit » et promet « de ne plus commettre d'actes illégaux ». Li Wenliang reprend son travail à l'hôpital de Wuhan. « Je ne pouvais rien faire, tout doit respecter la ligne officielle », explique-t-il à CNN.

D'autres lanceurs d'alerte

Mais l'épidémie prend de l'ampleur. Un premier patient décède le 11 janvier. Deux jours plus tard, la Thaïlande annonce être touchée par le nouveau coronavirus. D'autres pays suivront. Le 20 janvier, la transmission interhumaine est « avérée ». Le gouvernement chinois doit prendre des mesures. Le 23 janvier, l'agglomération de Wuhan est mise sous quarantaine. Le 30, l'OMS décrète l'urgence sanitaire mondiale.
VIDÉO. Un expatrié se filme dans les rues de Wuhan
Entre la fin décembre et le 7 janvier -date à laquelle les autorités chinoises indiquent avoir identifié un nouveau coronavirus-, plusieurs médecins comme Li Wenliang ont été réduits au silence. La police de Wuhan annonçait ainsi, sur le réseau social Weibo, le 1 er janvier, avoir pris des mesures contre huit personnes qui « répandaient des rumeurs en ligne ». « Nous avons rappelé qu'Internet n'est pas un endroit hors la loi », écrivait-elle.
Rétrospectivement, cette posture des autorités a suscité une véritable grogne dans la population. De nombreux internautes ont critiqué la gestion de cette crise sanitaire, estimant que si le personnel de santé avait sensibilisé la population plus tôt, la propagation du 2019-nCoV aurait pu être réduite. Le président Xi Jinping, en appelant à enrayer l'épidémie le 20 janvier et en lançant des mesures fortes, est alors apparu comme un sauveur.
« Devant l'opinion publique en colère, Pékin tente de rejeter la faute sur les autorités locales, explique le chercheur Antoine Bondaz. Mais ces dernières ont une responsabilité partagée avec les autorités centrales. » Le maire de Wuhan s'est excusé d'avoir retardé la diffusion d'informations sur le coronavirus, dans une interview à la télévision chinoise fin janvier. Il a néanmoins rappelé qu'il n'avait rien pu faire car il n'avait pas reçu l'autorisation de l'Etat.

«Plus de transparence»

La rhétorique du gouvernement a donc radicalement changé en quelques jours. « Les lanceurs d'alerte comme Li Wenliang sont passés de menaces pour les autorités à des anges en blanc, comme l'opinion publique les appelle, note Antoine Bondaz. Le gouvernement les met désormais en avant en les présentant comme des soldats sur le front. »
Cette situation illustre bien, selon le chercheur, tout l'enjeu de la politique sur les fake news en Chine. « D'un côté, le régime utilise des moyens de coercitions pour éviter que des informations ne sortent, comme pour ces médecins donneurs d'alerte ou pour les hôpitaux surchargés dont on ne veut pas parler. De l'autre, le pouvoir fait aussi face à de véritables fake news qu'il tente de contrôler, notamment sur les mesures d'hygiène à appliquer », explique-t-il. Et de citer des recommandations loufoques qui se propagent sur les réseaux sociaux chinois, comme ce « gargarisme avec du vinaigre salé ». « Il y a un vrai enjeu de santé publique. »
Li Wenliang, dont l'épouse est enceinte de leur deuxième enfant, est actuellement en quarantaine, pour récupérer de la maladie. « Si les autorités avaient divulgué des informations sur l'épidémie plus tôt, je pense que ça irait bien mieux, écrit-il au New York Times depuis son lit d'hôpital. Il devrait y avoir plus d'ouverture et de transparence. »

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