Coronavirus : comment ce médecin chinois a été réduit au silence après avoir donné l’alerte
Li Wenliang, 34 ans, a mis en garde ses contacts dès le 30 décembre sur une potentielle épidémie à venir. Mais les autorités chinoises l’ont accusé de propager des rumeurs.
C'est
une petite bombe qu'a lâchée Li Wenliang ce 30 décembre 2019. Un
message diffusé sur WeChat -la messagerie instantanée la plus populaire
en Chine- et destiné à ses camarades de médecine. L'ophtalmologue de 34
ans y affirme que sept personnes semblent contaminées par le Sras et
qu'elles sont en quarantaine dans l'hôpital où il travaille, à Wuhan.
Ces quelques mots inquiètent : l'épidémie de Sras (syndrome respiratoire aigu sévère), apparue en 2002 en Chine,
a tué 349 personnes dans le pays et 774 au niveau mondial. « Tellement
effrayant, répond un des destinataires du message. Le Sras est-il en
train de revenir? »
Li
Wenliang vient en fait de donner l'alerte sur un nouveau coronavirus,
qui sera officiellement identifié par les autorités chinoises comme le
2019 n-CoV le 7 janvier. Depuis, l'épidémie a fait 492 victimes, dont 490 en Chine, et infecté plus de 24 500 personnes. L'ophtalmologue fait aujourd'hui parti des contaminés.
«J'ai compris que j'allais être puni»
Dans
son message, il conseille à ses amis de prévenir leurs proches des
dangers de cette maladie. Il précise ensuite, dans un second texte, que
le virus n'est pas le Sras mais un nouveau type de coronavirus. Mais les
captures d'écran de son premier message deviennent virales en quelques
heures. « Quand je les ai vues circuler en ligne, j'ai compris que ça
devenait hors de contrôle et que j'allais être puni », raconte le
médecin à CNN.
Dans
la nuit du 30 au 31 décembre, les autorités sanitaires de Wuhan le
convoquent et lui demandent pourquoi il a partagé cette information. Le
31, le gouvernement chinois signale à l'Organisation mondiale de la
santé que plusieurs cas de pneumonie d'allure virale ont été déclarés
dans la ville de Wuhan. Le marché de Huana, d'où serait partie
l'épidémie, ferme le 1er janvier.
Li
Wenliang n'est pas tiré d'affaire pour autant. Depuis 2016, pour lutter
contre la propagation des fake news, Pékin a criminalisé la conception
et la diffusion de rumeurs en ligne. « Sauf que, dans un régime
autoritaire comme la Chine, toute information qui n'est pas validée par
les autorités peut être considérée comme fausse, même si elle est vraie…
» explique au Parisien Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la
recherche stratégique et maître de conférences à Sciences Po - USPC.
Le
3 janvier, la police convoque à son tour l'ophtalmologue : elle
l'accuse d'avoir « répandu des rumeurs en ligne » et « perturbé
gravement l'ordre social ». Le trentenaire doit signer une déclaration
dans laquelle il reconnaît son « délit » et promet « de ne plus
commettre d'actes illégaux ». Li Wenliang reprend son travail à
l'hôpital de Wuhan. « Je ne pouvais rien faire, tout doit respecter la
ligne officielle », explique-t-il à CNN.
D'autres lanceurs d'alerte
Mais
l'épidémie prend de l'ampleur. Un premier patient décède le 11 janvier.
Deux jours plus tard, la Thaïlande annonce être touchée par le nouveau
coronavirus. D'autres pays suivront. Le 20 janvier, la transmission
interhumaine est « avérée ». Le gouvernement chinois doit prendre des
mesures. Le 23 janvier, l'agglomération de Wuhan est mise sous quarantaine. Le 30, l'OMS décrète l'urgence sanitaire mondiale.
VIDÉO. Un expatrié se filme dans les rues de Wuhan
Entre
la fin décembre et le 7 janvier -date à laquelle les autorités
chinoises indiquent avoir identifié un nouveau coronavirus-, plusieurs
médecins comme Li Wenliang ont été réduits au silence. La police de
Wuhan annonçait ainsi, sur le réseau social Weibo,
le 1 er janvier, avoir pris des mesures contre huit personnes qui «
répandaient des rumeurs en ligne ». « Nous avons rappelé qu'Internet
n'est pas un endroit hors la loi », écrivait-elle.
Rétrospectivement,
cette posture des autorités a suscité une véritable grogne dans la
population. De nombreux internautes ont critiqué la gestion de cette
crise sanitaire, estimant que si le personnel de santé avait sensibilisé
la population plus tôt, la propagation du 2019-nCoV aurait pu être
réduite. Le président Xi Jinping, en appelant à enrayer l'épidémie le 20
janvier et en lançant des mesures fortes, est alors apparu comme un sauveur.
«
Devant l'opinion publique en colère, Pékin tente de rejeter la faute
sur les autorités locales, explique le chercheur Antoine Bondaz. Mais
ces dernières ont une responsabilité partagée avec les autorités
centrales. » Le maire de Wuhan s'est excusé d'avoir retardé la diffusion
d'informations sur le coronavirus, dans une interview à la télévision
chinoise fin janvier. Il a néanmoins rappelé qu'il n'avait rien pu faire
car il n'avait pas reçu l'autorisation de l'Etat.
«Plus de transparence»
La
rhétorique du gouvernement a donc radicalement changé en quelques
jours. « Les lanceurs d'alerte comme Li Wenliang sont passés de menaces
pour les autorités à des anges en blanc,
comme l'opinion publique les appelle, note Antoine Bondaz. Le
gouvernement les met désormais en avant en les présentant comme des
soldats sur le front. »
Cette
situation illustre bien, selon le chercheur, tout l'enjeu de la
politique sur les fake news en Chine. « D'un côté, le régime utilise des
moyens de coercitions pour éviter que des informations ne sortent,
comme pour ces médecins donneurs d'alerte ou pour les hôpitaux
surchargés dont on ne veut pas parler. De l'autre, le pouvoir fait aussi
face à de véritables fake news qu'il tente de contrôler, notamment sur
les mesures d'hygiène à appliquer », explique-t-il. Et de citer des
recommandations loufoques qui se propagent sur les réseaux sociaux
chinois, comme ce « gargarisme avec du vinaigre salé ». « Il y a un vrai
enjeu de santé publique. »
Li
Wenliang, dont l'épouse est enceinte de leur deuxième enfant, est
actuellement en quarantaine, pour récupérer de la maladie. « Si les
autorités avaient divulgué des informations sur l'épidémie plus tôt, je
pense que ça irait bien mieux, écrit-il au New York Times depuis son lit d'hôpital. Il devrait y avoir plus d'ouverture et de transparence. »
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