Voyage dans les gares TGV perdues en rase campagne
Depuis trente ans, de Mâcon-Loché à Belfort-Montbéliard en passant par la Meuse ou Le Creusot, le TGV a souvent fait halte à l'écart des grands centres urbains. Francetv info a pris sa carte grand voyageur pour aller à la découverte de ces gares des champs et s'est demandé pourquoi elles avaient été préférées aux centre-villes.
Un tracé "aussi direct que possible"
La raison d'être de ces gares périphériques est à chercher dans l'histoire de la grande vitesse en France. Le premier tronçon est mis en service en 1981, avec la liaison entre Paris et Lyon dont le tracé, entre les deux métropoles, évite soigneusement les grandes agglomérations. "Dans la logique de la SNCF, les lignes à grande vitesse devaient permettre de piquer du trafic au transport aérien, explique la géographe Valérie Facchinetti-Mannone. Il fallait relier rapidement Paris à de grandes villes, situées à des distances importantes."En 1991, déjà, appelé à plancher sur les futures lignes à grande vitesse, le ministère des Transports (document PDF) plaidait pour des "tracés aussi directs que possibles". Même éloignées des centres urbains, ces gares intermédiaires permettent d'optimiser les performances globales de la ligne. "S'arrêter dans une gare de centre-ville prend entre 15 et 20 minutes, détaille Julie Taldir, chef de l'unité concertation et débat public au sein de SNCF Réseau (ex-RFF). Le temps de quitter la ligne nouvelle pour rejoindre le réseau existant, de décélérer puis de réaccélérer... Un arrêt dans une gare nouvelle peut être de deux à trois fois plus rapide." "C'est un gain de temps, mais cela permet aussi de réduire les coûts par rapport aux aménagements que nécessiteraient des gares en centre-ville", précise Valérie Facchinetti-Mannone.
Des batailles politiques
Mais la création de ces gares périurbaines répond aussi à des considérations politiques. Le tracé de la ligne à grande vitesse dans le Nord a ainsi été l'occasion d'une âpre bataille entre Amiens et Lille. Le passage par la première aurait permis une desserte plus directe de Londres, mais les Nordistes ont eu gain de cause et obtenu leur gare en centre-ville. "La bataille a été terrible, se souvenait avec regret l'ancien maire de Lille, Pierre Mauroy, au micro de France Bleu. Mais la région avait besoin de ça." En raison de ce tracé, la Picardie a elle hérité d’un arrêt à mi-chemin entre Amiens et Saint-Quentin, les deux principales villes de la région : Haute-Picardie TGV a fait office de "gare de compromis", juge aujourd'hui l'un des vice-présidents de la communauté de communes locale, Bruno Etévé.En Lorraine, une gare a été implantée à Louvigny, à mi-chemin entre Nancy et Metz. Certes, ce choix permettait à la SNCF "d'avoir un tracé le plus direct possible entre Strasbourg et Paris", mais il s'agissait aussi "de concilier les exigences concurrentes des deux métropoles lorraines", écrit la Cour des comptes (document PDF). "La SNCF a joué sur la rivalité entre Metz et Nancy, qui dépasse le simple TGV, explique Valérie Facchinetti-Mannone. Il y a eu une bataille similaire pour l'autoroute A4 ou pour l'aéroport." Sept ans après sa mise en service, Louvigny est toujours contestée, car elle est uniquement accessible par la route, alors qu’une autre implantation, à quelques kilomètres de là, à Vandières, permettrait à la ligne TGV d’être réliée au réseau TER. Consultés, les Lorrains ont voté contre ce dernier projet… mais le résultat n’étant pas contraignant, l’exécutif local doit encore trancher, d’ici le 1er mars.
De fait, en s'impliquant dans le financement des nouvelles lignes, les collectivités locales ont pesé de tout leur poids pour infléchir les tracés. Ce qui a donné lieu à "des contreparties coûteuses" sur la LGV Est, note la Cour des comptes, comme la construction de la gare Meuse TGV, qui représente "un coût de fonctionnement important pour le département". "Le Conseil général a voulu sa gare et se l'est payée, résume Valérie Facchineti-Mannone. Elle n'avait aucun intérêt à être là, vu la population qu'elle dessert." "Les collectivités sont cofinanceurs, elles défendent aussi leur projet politique, reconnaît Julie Taldir, de SNCF Réseau. Nous apportons notre expertise sur la faisabalité et la rentabilité du projet et nous ajustons notre contribution financière en fonction."
Le TGV en perte de vitesse
Autour de ces gares, les collectivités locales ont multiplié les projets de développement, avec des résultats mitigés. Vingt ans après sa mise en service, la gare TGV Haute Picardie reste plantée au milieu des betteraves. A la sortie de la gare, deux bâtiments ont poussé sur les champs. "A vendre, à louer", précise un panneau installé sur l'un d'eux, encore à moitié inoccupé, à l'image du reste de la zone d'activités. Une poignée d'entreprises s'est y installée, mais 70 hectares sur 110 sont encore disponibles. A contrario, 1 850 personnes travaillent autour de l'arrêt Valence TGV. Face au massif du Vercors, le succès commercial de la gare a permis de faire prospérer des immeubles de bureaux aux alentours. Loin des paysages de champs et de vergers qui fleurissaient jusqu'alors dans la région.Face à ces destinées contrastées, la Cour des comptes souhaite mettre un coup de frein à de telles implantations dans le futur. Dans leur rapport de 2013, les sages de la rue Cambon ont recommandé à l'Etat, à RFF et aux collectivités d'"exclure l'implantation de gares TGV en rase campagne sans interconnexion avec le réseau de transport régional", autrement dit de ne plus construire de "gares betteraves". "Au moins 20 ans s'écoulent entre la phase de projet et la mise en service d'une nouvelle ligne, assure Julie Taldir, chef de l'unité concertation et débat public de SNCF Réseau. Les processus ont évolué au fil du temps. Dans les années 90, le parti pris était de créer des gares en dehors des agglomérations. Aujourd'hui, les lignes Bretagne-Pays de la Loire ou Tours-Bordeaux désservent plutôt les gares existantes. Pour les lignes en cours d'étude, c'est un peu des deux."
Trente ans après ses débuts, le développement du TGV se ralentit de toute façon. "Les lignes rentables ont pour l'essentiel été construites", expliquait en 2012 le magazine spécialisé Ville, rail et transports, dans un dossier réalisé en partenariat avec la SNCF. Depuis plusieurs années, le PDG de la compagnie martèle sa volonté de privilégier "les trains du quotidien", comme les TER ou les Intercités.
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