Santé: comment les industriels nous manipulent
Tabac, OGM, réchauffement climatique, amiante, polluants... Depuis des dizaines d'années, les industriels manipulent l'opinon à travers des études tronquées, parfois même en achetant des scientifiques. Démonstration.
285 pages bien tassées. 285 pages qui égrènent, un à un, les
scandales sanitaires provoqués par les industriels, qu'il s'agisse de
l'amiante, du tabac, des OGM ou encore du dérèglement climatique.
Pendant des mois, Stéphane Foucart
s'est plongé dans des documents officiels longtemps demeurés secrets.
Des millions de pages à lire sur Internet, des centaines de rapports à
éplucher, des dizaines d'interviews effectuées: le journaliste,
spécialiste des questions d'environnement au Monde après être passé par L'Express, s'est livré à un travail de fourmi.
Le résultat est impressionnant de rigueur. Il fait aussi froid dans le dos, à énumérer ainsi des travaux qui n'ont de scientifique que le nom. Sans parti pris, sans militantisme, Stéphane Foucart montre à quel point la science est aujourd'hui gangrénée par des enjeux économiques qui la dépassent parfois. Un livre bienvenu, que cette Fabrique du mensonge (Editions Denoël, 17 euros), à lire et à faire lire.
De même, des boites de communication embauchent des Internautes pour diffuser des messages orientés sur la Toile, et visant à mettre en doute des données pourtant incontestables. De ce point de vue, Internet est tout autant un remède - parce qu'on y trouve quantité d'informations - qu'un poison - parce qu'elles sont parfois manipulées.
Le résultat est impressionnant de rigueur. Il fait aussi froid dans le dos, à énumérer ainsi des travaux qui n'ont de scientifique que le nom. Sans parti pris, sans militantisme, Stéphane Foucart montre à quel point la science est aujourd'hui gangrénée par des enjeux économiques qui la dépassent parfois. Un livre bienvenu, que cette Fabrique du mensonge (Editions Denoël, 17 euros), à lire et à faire lire.
Vous consacrez un très long chapitre aux fabricants de cigarettes. Quand ont-ils commencé à "se servir" de la science?
Très
tôt! Dès 1953 exactement, au moment où étaient publiés les premiers
articles scientifiques évoquant des liens entre consommation de tabac et
cancer du poumon. Un communiquant de génie, John Hill,
a soufflé aux cigarettiers l'idée de financer de la recherche
académique classique. Ces derniers ont donc créé une agence ad hoc, le
CTR (Council for tobacco research) qui a, au total, investi près de 500 millions de dollars en 40 ans!
Mais quel intérêt de financer ainsi des études?
Pour
orienter la recherche. Plus exactement, pour retirer aux chercheurs la
possibilité de déterminer, par eux-mêmes, l'objet de leurs travaux.
Concrètement, cela consiste par exemple à financer tout ce qui permettra
de suggérer que les cancers ne sont pas uniquement dus à la cigarette.
Vont-ils jusqu'à "acheter" des scientifiques?
Pas
nécessairement, il suffit souvent de les instrumentaliser à leur corps
défendant. Leur force consiste à rémunérer des travaux sérieux, puis à
se servir des résultats obtenus dans une mécanique de communication.
Dans le cas du tabac, cela va de la pollution intérieure au radon, en
passant par les prédispositions génétiques et l'alimentation. Plus on
suspectera d'autres facteurs que le tabac, plus les industriels s'en
serviront.
C'est tout? Ils ne leur proposent jamais d'argent en dessous de table?
Si
bien sûr. Certaines pratiques sont discutables, voire carrément
crapuleuses. Les cigarettiers ont ainsi "arrosé" la recherche mondiale,
et en particulier la recherche américaine. Rémunérations privées,
versements effectués par le biais de sociétés écran, appel à des
cabinets d'avocats, tout est bon. L'idéal pour eux, c'est de recruter un
scientifique qui va peu à peu gravir les échelons pour se poser en
expert reconnu et infiltrer les organismes officiels - Agences de
sécurité sanitaire, groupes de travail parlementaires ou même postes
techniques au sein du gouvernement.
Et en France? Les cigarettiers ont-ils aussi payé des chercheurs?
A
travers mon enquête, j'en ai identifié une dizaine dont on sait, grâce à
des documents restés longtemps secrets, qu'ils ont effectivement perçu
de l'argent par des sociétés écran liées à Philippe Morris.
Combien? Pas beaucoup, en regard des sommes versées aux Etats-Unis: en
dehors d'un cas particulier, qui a reçu plusieurs centaines de milliers
de francs en Suisse (il est mort aujourd'hui), cela se situait aux
alentours de quelques dizaines de milliers de francs à l'époque. Leur
boulot consistait à participer à des conférences mais aussi à critiquer
le résultat d'autres chercheurs... Des critiques évidemment non
spontanées et destinées à contrebalancer des résultats négatifs pour
l'industrie du tabac.
Vous consacrez un long passage à l'un d'entre eux, Jean-Pol Tassin...
Le
laboratoire de ce neurobiologiste, qui a été directeur d'une Unité de
recherches Inserm, a en effet été financé à hauteur de 2,8 millions de
francs entre 1989 et 2000. Il affirme aujourd'hui qu'il n'a jamais
travaillé sur la nicotine avec l'argent des cigarettiers, mais il a
pourtant signé pas mal d'articles sur ce sujet. De même, rien ne permet
d'affirmer qu'il aurait, en plus, reçu de l'argent comme consultant
privé. Je note toutefois qu'il a, en permanence, tenu des discours qui à
la fois étaient en contradiction avec la littérature scientifique et en
accord avec les prises de position officielles de l'industrie du
tabac.
Un exemple précis?
En 2009, il participe à une étude consacrée aux mécanismes d'addiction à la nicotine et menée sur des rats. Et il fait diffuser par
le service de presse du CNRS un communiqué dont le message principal
est que les substituts nicotiniques ne sont pas efficaces. Or,
l'objet de son article n'est pas du tout celui là. Pis, il fait dire à
une étude le contraire de ce qu'elle avance sur la question des
substituts!
L'autre méthode très efficace des
industriels, c'est de se servir d'Internet. Pour contester la réalité du
réchauffement climatique par exemple, on peut s'offrir un bloggeur
renommé...
En l'occurrence, des industriels américains ont fait
appel à Anthony Watts, un présentateur météo populaire aux Etats-Unis,
dont le blog est effectivement très lu et
qui prétend, depuis des années, que le réchauffement climatique est une
lubie de quelques illuminés. Or, celui-ci a touché 90 000 dollars rien
qu'en 2012 de la part d'un lobby néoconservateur. J'appelle cela du
"blanchiment de l'opinion industrielle"! De même, des boites de communication embauchent des Internautes pour diffuser des messages orientés sur la Toile, et visant à mettre en doute des données pourtant incontestables. De ce point de vue, Internet est tout autant un remède - parce qu'on y trouve quantité d'informations - qu'un poison - parce qu'elles sont parfois manipulées.
Plus fort
encore, les industriels créent leurs propres outils pour évaluer les
risques liés à leurs activités. Vous le démontrez avec le cas des
insecticides qui provoquent la mort des abeilles.
Ils ont réussi un vrai tour de force. En noyautant la plupart des organisations intergouvernementales, les industriels comme Monsanto sont à la fois juge et partie. Prenez l'ICPBR,
un organisme complètement inconnu, informel, sans existence juridique
réelle. Censé "promouvoir et coordonner les recherches sur les plantes
et les abeilles de tout type", il rassemble des scientifiques honnêtes
et d'autres payés par l'industrie. Son rôle: construire des protocoles
expérimentaux pour vérifier la toxicité des insecticides et les proposer
ensuite à l'Agence européenne. Et comme le consensus fait aujourd'hui
office de Graal, ces recommandations sont forcément nivelées par le
bas.
Les industriels peuvent-ils aller jusqu'à " trafiquer " des modèles animaux?
Pas la peine! Il leur suffit de trouver le " bon " modèle, c'est-à-dire celui qui servira au mieux leurs intérêts. Pour étudier les effets du Bisphénol A par
exemple, les industriels ont eu recours à une espèce de rats qui est
presque insensible aux perturbateurs endocriniens. Cet artifice leur a
permis d'affirmer pendant des années que le Bisphénol était sans danger.
Alors qu'avec des souris "ordinaires", des doses 100 à 1 000 fois
inférieures provoquent des effets mesurables.
La science est aussi affaire de sémantique. En quoi les industriels ont-ils gagné la bataille des mots?
Pour
le grand public, la science se résume aujourd'hui à la technologie -
et, inversement, l'innovation technologique, c'est de la science. En
d'autres termes, les industriels ont imposé l'idée - fausse - que toute
science qui régule l'innovation n'est pas de la "vraie" science. Ainsi,
les scientifiques qui s'intéressent au climat (géochimistes, physiciens,
océanographes....) sont présentés par ces lobbies comme des militants,
des écologistes, pas des scientifiques rigoureux.
Mais c'est la science dans son ensemble qui perd sa crédibilité.
Elle est d'ores et déjà bien entamée, à plus forte raison quand s'y
mêlent des enjeux économiques ou politiques. A cet égard, l'activisme
des fabricants d'aspartam est phénoménal : ces dernières années, des
dizaines et des dizaines d'études ont été publiées avec leur soutien,
qui toutes concluent à l'innocuité de ce composant.
Tabac,
OGM, dérèglement climatique, perturbateurs endocriniens... Avec le
recul, quelle est la situation qui vous scandalise le plus?
Sans
hésitation, l'amiante. Voilà un produit qui a tué des centaines de
milliers de personnes dans le monde, notamment en France. Résultat?
Rien. Pas une condamnation dans notre pays.
On savait pourtant depuis des années le danger que l'amiante
comportait, on connait pourtant le nom des responsables, on sait comment
des scientifiques ont été achetés, les boites de communication qui ont
oeuvré sont identifiées. Tout cela laisse un profond sentiment de gâchis
et d'injustice.
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