Encore un mois. Lundi 13 avril, Emmanuel Macron a donc annoncé la prolongation du confinement en France jusqu’au 11 mai et un retour très progressif à “la vie d’avant”. Les écoles devraient rouvrir en premier, en revanche les salles de spectacle, les cafés, les restaurants… resteront fermés. En temps normal, nous aurions consacré au moins deux pages au changement de ton manifeste du chef de l’État, qui n’a pas échappé à la presse étrangère. “Emmanuel Macron a compris – et il l’a d’ailleurs dit – qu’il doit se réinventer face à ce tsunami du Covid-19”, écrit ainsi Richard Werly dans Le Temps en évoquant un président “plus social”, “plus attentif aux inégalités”. Nos délais de bouclage, modifiés en raison de la pandémie et du week-end de Pâques, ne nous permettent pas de couvrir largement cette intervention dans l’hebdomadaire ; mais vous pouvez suivre toutes les réactions de la presse étrangère sur notre site.
Dans cette crise sanitaire, les messages politiques ont une importance particulière. La façon dont ils sont perçus peut avoir des conséquences lourdes. On l’a vu récemment en Turquie avec l’annonce précipitée d’un confinement de deux jours qui a conduit la population, paniquée, à se ruer dans les boulangeries, les épiceries, provoquant embouteillages et cohues. En une nuit “tous les efforts de distanciation sociale ont été ruinés”, écrit le quotidien Cumhuriyet, citant une députée de l’opposition.
On le voit aussi dans le dossier que nous vous proposons cette semaine. À partir d’une question simple et qui nous concerne tous (y a-t-il vraiment un risque de pénurie alimentaire ?), nous sommes allés regarder ce qu’en disait la presse étrangère. Il ne s’agit pas d’être alarmiste mais simplement d’analyser et de comprendre.
Le 31 mars, la FAO, l’OMC et l’OMS ont lancé conjointement un appel s’inquiétant de possibles pénuries alimentaires à court terme. Les trois organisations onusiennes, chargées respectivement de l’alimentation, du commerce et de la santé, redoutent que la fermeture des frontières et les restrictions à l’exportation des grands pays producteurs de riz, de blé et d’autres céréales ne provoquent une flambée des prix et une crise qui n’a pourtant pas lieu d’être. Cette année, il n’y a pas eu de problèmes de production, les récoltes ont été bonnes et pourtant… La “constitution de stocks partout dans le monde, du Maghreb à Manille”, écrit le Financial Times, et les achats dits “de panique” ont conduit certains gouvernements à restreindre leurs exportations pour garantir la sécurité alimentaire de leur population. Au détriment des pays importateurs (en Afrique et en Amérique latine, notamment) les plus fragiles, qui sont loin d’être autosuffisants en la matière. Le repli plutôt que la coopération internationale, voilà le problème. Quand la peur et le chacun pour soi gouvernent, le monde n’y gagne en général pas grand-chose. En Asie, les réflexes protectionnistes de gouvernements paniqués pourraient provoquer une crise alimentaire semblable à celle de 2007-2008, s’inquiète le South China Morning Post.
Outre la fermeture des frontières, “les gros importateurs sont aussi préoccupés par le ralentissement de la chaîne logistique, par exemple en France, qui fait partie des premiers exportateurs de blé et qui manque aujourd’hui de chauffeurs de poids lourds, de conducteurs de train et de dockers”, écrit encore le Financial Times. En Europe, la fermeture des frontières a un impact sur les agriculteurs, qui ne trouvent plus de main-d’œuvre, explique le New York Times. Les travailleurs saisonniers venant le plus souvent d’Europe de l’Est, certaines récoltes pourraient être perdues, faute de ramasseurs. Conséquence, la France, comme d’autres pays, incite aujourd’hui les consommateurs à manger local. Voilà peut-être l’occasion de repenser notre système alimentaire, veut croire le quotidien suisse Le Temps.
Mais il y a une autre urgence. Aux États-Unis, 16 millions de personnes se sont retrouvées au chômage en trois semaines et, dans l’Ohio, en Pennsylvanie ou au Texas, on a vu des files d’attente de plusieurs kilomètres devant des banques alimentaires. La flambée des prix des produits de première nécessité pourrait être préjudiciable aux organisations humanitaires qui distribuent de l’aide aux plus vulnérables, s’inquiétaient justement dans leur appel la FAO, l’OMC et l’OMS. C’est vrai aux États-Unis, c’est vrai partout dans le monde et juste en bas de chez nous. Avant de penser à manger local, il faut déjà pouvoir manger. Ne l’oublions pas.
Claire Carrard