L'appel de l'Asie
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Ll'Asie devient un "Far East" pour les entrepreneurs français. Enquête et success stories dans huit pays figurant au classement Doing Business 2013.
Ils fantasmaient sur New York et ont atterri à ... Shanghai! A moins
de 24 ans, Benjamin, Thomas et Max, les fondateurs du déjà mythique Café
des stagiaires, ont gagné leurs galons d'entrepreneurs. Dès leur
première année d'exploitation, ils ont remporté le prix du meilleur bar
de Shanghai, décerné par le magazine anglophone Time Out, et projettent
d'ouvrir à Hong-kong cet automne: "Jamais nous n'aurions pu faire cela à
Paris ou New York. Trop cher et pas le droit à l'erreur. Et puis, de
même qu'il y a vingt ans il fallait être à New York, aujourd'hui, il
faut être à Shanghai."
Le rêve asiatique s'est emparé des Français entrepreneurs. Des mégalopoles où convergent les nouveaux consommateurs aux zones industrielles où émergent chaque jour les nouvelles usines du monde, des frontières agricoles à explorer aux nouvelles technologies à exploiter, le "Far East" exerce une fascination croissante pour ceux qui veulent couper le cordon ombilical et réussir ce qui demeure une aventure, hors de leur zone de confort. Les gros bataillons sont les jeunes entrepreneurs, entre 20 et 45 ans. Depuis dix ans, et singulièrement ces toutes dernières années, les créations d'entreprises par les Français en Asie se sont multipliées, de pair avec un renforcement rapide des communautés d'affaires françaises: +11% l'an dernier, avec officiellement 110.000 Français qui vivent en Asie-Océanie - en réalité beaucoup plus, car tous ne s'inscrivent pas dans les consulats.
Aventure individuelle
Impossible de faire un portrait-robot de ces défricheurs, tant l'entrepreneuriat, surtout aussi loin de chez soi, est une aventure individuelle. Mathias Helleu, à Hong-kong, prospère en vendant des actions et obligations américaines et chinoises à des clients asiatiques. Bruno Hasson fait fortune en Indonésie: grâce à un réseau de clientes relais, il est le premier distributeur de sacs à main, fabriqués localement mais dessinés par une équipe multiculturelle. Pierre-Jean Malgouyres, architecte au Vietnam, a monté en quelques années un des cent premiers cabinets mondiaux grâce à un positionnement à mi-chemin entre les grands noms internationaux aux honoraires inaccessibles et les locaux trop bon marché.
Arnaud Vaissié, un des symboles les plus éclatants de cette réussite, qui a cofondé en 1985 à Singapour International SOS, devenu numéro un mondial dans le secteur de la santé et de la sécurité à l'international, souligne pourtant que le choix de l'Asie n'est pas évident: "Contrairement à une idée reçue, il n'est pas facile de créer sa société en Asie. L'environnement de croissance et les conditions fiscales y sont favorables, mais monter un business sans aucun support est compliqué." Alors pourquoi l'Asie? "C'est l'aventure qui attire, et ceux qui partent ne sont pas forcément les plus riches. Mais pour un entrepreneur, le pessimisme ambiant en France est difficile à vivre."
De même qu'il y a l'appel du large, il y a donc l'appel du marché asiatique, l'énergie que dégage la zone, la réactivité des habitants, la certitude que demain sera mieux qu'hier... "C'est l'occasion de réapprendre le capitalisme, résume Doan Viet Dai Tu, qui développe depuis 1993 au Vietnam une société de commerce, OpenAsia, qui emploie aujourd'hui 1.400 personnes. Notre fierté, à OpenAsia, ne tient pas seulement aux résultats chiffrés, mais à la satisfaction d'avoir créé une culture d'entreprise. La liberté, c'est notre luxe. Malgré le stress et un boulot de fou." Malgré les pièges aussi: corruption, contrefaçon... "Au Vietnam, finalement, il y a davantage d'opportunités qu'en France, davantage de marges de négociation et moins de danger à échouer." Et peu importe si les aides se dérobent ou si les prêts bancaires sont retoqués.
Réussites mondiales
Comme Doan Viet Dai Tu, la communauté entrepreneuriale française a ses pionniers. Ceux qui se sont lancés dans les années 1980 et 1990 connaissent de très belles réussites, parfois mondiales: Joachim Poylo, patron fondateur du groupe Aden Services, devenu, avec 15.000 salariés, une multinationale de services intégrés aux entreprises qui concurrence désormais Sodexo, son ancien employeur. D'autres ont joué plutôt la carte locale ou régionale. Ils se sont enracinés, devenant les piliers d'une diaspora française solidaire. A Hong-kong comme à Pékin, combien de jeunes entrepreneurs ont été aidés par Patrick Marie Herbet, arrivé en Chine en 1982, aujourd'hui à la tête d'Abacare, une société de courtage en assurances, créateur du Rotary de Wanchai à Hong-kong, et des Chevaliers du Tastevin en Chine. C'est son réseau local qui a permis de financer en partie l'Année de la France en Chine.
Liens biculturels
Cet investissement - au-delà de leurs affaires - dans la vie culturelle ou sociale est précieux pour la présence française dans ces pays. Ils en connaissent les élites, les marchés, les entrées, les habitudes... Souvent, leurs conjoints sont nés dans leur pays d'adoption, leurs enfants sont biculturels. Et l'histoire se répète, comme pour Alexandre Chieng, 34 ans, cofondateur de Schobrunn, numéro trois du soin capillaire en Chine. Fils d'André Chieng, un des consultants français les plus renommés en Chine et petit-fils du secrétaire particulier d'un des fondateurs du Guomindang, il naît à Pékin. Après des études en France, il revient pour un MBA à l'université de Pékin. Suivent un volontariat en entreprise (VIE) à BNP Paribas, puis un job de contrôleur financier à LVMH. 'J'avais un superavenir, mais il me manquait quelque chose, raconte-t-il. Je me suis dit qu'une de mes missions de vie serait de créer une marque qui puisse inspirer les Chinois. C'est ainsi qu'est né Schobrunn, avec un partenaire chinois, un chimiste que j'ai connu au poker.'
Ce départ accéléré d'aspirants entrepreneurs vers l'étranger est-il une hémorragie pour la France? Pour Arnaud Vaissié, qui soutient des start-up françaises dans la métropole et investit dans le lancement de l'Essec à Singapour, la réponse est mitigée: 'Le grand avantage des Français qui partent à l'étranger, c'est qu'ils savent communiquer avec le reste du monde. Aujourd'hui, ils sont dénoncés comme des gens qui fuient. Mais il faut penser cela comme un cercle: prévoir les conditions du retour, valoriser leur contribution. Ceux qui montent leur entreprise en Asie disposent d'une expérience fantastique. A nous de les intégrer à l'étranger, et après, éventuellement, en France.'
Anne Garrigue, auteur d'Aux nouvelles frontières d'Asie
--> Diaporama Comment réussir en Asie
Le rêve asiatique s'est emparé des Français entrepreneurs. Des mégalopoles où convergent les nouveaux consommateurs aux zones industrielles où émergent chaque jour les nouvelles usines du monde, des frontières agricoles à explorer aux nouvelles technologies à exploiter, le "Far East" exerce une fascination croissante pour ceux qui veulent couper le cordon ombilical et réussir ce qui demeure une aventure, hors de leur zone de confort. Les gros bataillons sont les jeunes entrepreneurs, entre 20 et 45 ans. Depuis dix ans, et singulièrement ces toutes dernières années, les créations d'entreprises par les Français en Asie se sont multipliées, de pair avec un renforcement rapide des communautés d'affaires françaises: +11% l'an dernier, avec officiellement 110.000 Français qui vivent en Asie-Océanie - en réalité beaucoup plus, car tous ne s'inscrivent pas dans les consulats.
Aventure individuelle
Impossible de faire un portrait-robot de ces défricheurs, tant l'entrepreneuriat, surtout aussi loin de chez soi, est une aventure individuelle. Mathias Helleu, à Hong-kong, prospère en vendant des actions et obligations américaines et chinoises à des clients asiatiques. Bruno Hasson fait fortune en Indonésie: grâce à un réseau de clientes relais, il est le premier distributeur de sacs à main, fabriqués localement mais dessinés par une équipe multiculturelle. Pierre-Jean Malgouyres, architecte au Vietnam, a monté en quelques années un des cent premiers cabinets mondiaux grâce à un positionnement à mi-chemin entre les grands noms internationaux aux honoraires inaccessibles et les locaux trop bon marché.
Arnaud Vaissié, un des symboles les plus éclatants de cette réussite, qui a cofondé en 1985 à Singapour International SOS, devenu numéro un mondial dans le secteur de la santé et de la sécurité à l'international, souligne pourtant que le choix de l'Asie n'est pas évident: "Contrairement à une idée reçue, il n'est pas facile de créer sa société en Asie. L'environnement de croissance et les conditions fiscales y sont favorables, mais monter un business sans aucun support est compliqué." Alors pourquoi l'Asie? "C'est l'aventure qui attire, et ceux qui partent ne sont pas forcément les plus riches. Mais pour un entrepreneur, le pessimisme ambiant en France est difficile à vivre."
De même qu'il y a l'appel du large, il y a donc l'appel du marché asiatique, l'énergie que dégage la zone, la réactivité des habitants, la certitude que demain sera mieux qu'hier... "C'est l'occasion de réapprendre le capitalisme, résume Doan Viet Dai Tu, qui développe depuis 1993 au Vietnam une société de commerce, OpenAsia, qui emploie aujourd'hui 1.400 personnes. Notre fierté, à OpenAsia, ne tient pas seulement aux résultats chiffrés, mais à la satisfaction d'avoir créé une culture d'entreprise. La liberté, c'est notre luxe. Malgré le stress et un boulot de fou." Malgré les pièges aussi: corruption, contrefaçon... "Au Vietnam, finalement, il y a davantage d'opportunités qu'en France, davantage de marges de négociation et moins de danger à échouer." Et peu importe si les aides se dérobent ou si les prêts bancaires sont retoqués.
Réussites mondiales
Comme Doan Viet Dai Tu, la communauté entrepreneuriale française a ses pionniers. Ceux qui se sont lancés dans les années 1980 et 1990 connaissent de très belles réussites, parfois mondiales: Joachim Poylo, patron fondateur du groupe Aden Services, devenu, avec 15.000 salariés, une multinationale de services intégrés aux entreprises qui concurrence désormais Sodexo, son ancien employeur. D'autres ont joué plutôt la carte locale ou régionale. Ils se sont enracinés, devenant les piliers d'une diaspora française solidaire. A Hong-kong comme à Pékin, combien de jeunes entrepreneurs ont été aidés par Patrick Marie Herbet, arrivé en Chine en 1982, aujourd'hui à la tête d'Abacare, une société de courtage en assurances, créateur du Rotary de Wanchai à Hong-kong, et des Chevaliers du Tastevin en Chine. C'est son réseau local qui a permis de financer en partie l'Année de la France en Chine.
Liens biculturels
Cet investissement - au-delà de leurs affaires - dans la vie culturelle ou sociale est précieux pour la présence française dans ces pays. Ils en connaissent les élites, les marchés, les entrées, les habitudes... Souvent, leurs conjoints sont nés dans leur pays d'adoption, leurs enfants sont biculturels. Et l'histoire se répète, comme pour Alexandre Chieng, 34 ans, cofondateur de Schobrunn, numéro trois du soin capillaire en Chine. Fils d'André Chieng, un des consultants français les plus renommés en Chine et petit-fils du secrétaire particulier d'un des fondateurs du Guomindang, il naît à Pékin. Après des études en France, il revient pour un MBA à l'université de Pékin. Suivent un volontariat en entreprise (VIE) à BNP Paribas, puis un job de contrôleur financier à LVMH. 'J'avais un superavenir, mais il me manquait quelque chose, raconte-t-il. Je me suis dit qu'une de mes missions de vie serait de créer une marque qui puisse inspirer les Chinois. C'est ainsi qu'est né Schobrunn, avec un partenaire chinois, un chimiste que j'ai connu au poker.'
Ce départ accéléré d'aspirants entrepreneurs vers l'étranger est-il une hémorragie pour la France? Pour Arnaud Vaissié, qui soutient des start-up françaises dans la métropole et investit dans le lancement de l'Essec à Singapour, la réponse est mitigée: 'Le grand avantage des Français qui partent à l'étranger, c'est qu'ils savent communiquer avec le reste du monde. Aujourd'hui, ils sont dénoncés comme des gens qui fuient. Mais il faut penser cela comme un cercle: prévoir les conditions du retour, valoriser leur contribution. Ceux qui montent leur entreprise en Asie disposent d'une expérience fantastique. A nous de les intégrer à l'étranger, et après, éventuellement, en France.'
Anne Garrigue, auteur d'Aux nouvelles frontières d'Asie
--> Diaporama Comment réussir en Asie
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