Traversée en Corée du Nord à bord du train qui, officiellement, transportera du charbon...
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Passer la frontière russo-nord-coréenne est
un vrai « plaisir ». Deux heures de contrôles d'un côté et rebelote de
l'autre. Le tout dans un wagon verrouillé et sans ventilation par une
chaleur de 30°C. Tous les téléphones portables ont été laissés en
Russie.
De toute évidence, les trains de passagers sont une rareté dans la région. Les gares traversées paraissent à moitié abandonnées. Aucun wagon de voyageur n'est visible, juste des wagons de fret russes et parfois un minuscule wagon nord-coréen qui semble être resté immobile depuis les années 1950.
Les bâtiments, qu'ils soient d'habitation ou administratifs, trahissent le délabrement. À proximité d'une ville de quelque importance (Sonbong), apparaît un vaste complexe pétrochimique. Pas une seule des dizaines de cheminées ne laisse échapper de fumée. Le site industriel semble en friche depuis des lustres.
Les villages parsemant notre parcours se ressemblent les uns les autres : des bâtiments blancs, sans étage, surmontés de petites cheminées. Ils semblent tous sortis du même moule et respirent la vétusté. Mais c'est l'observation des Nord-Coréens eux-mêmes qui est bien plus révélatrice de l'état du pays. Tous sans exception paraissent flotter dans leurs vêtements. Même les innombrables militaires et policiers, en faction tout au long du parcours du train. Comme si leurs uniformes étaient trop grands pour eux. Sont-ils naturellement tous maigres ou... faméliques ?
Sur les routes longeant la voie ferrée, les véhicules sont très rares. Les gens se déplacent à pied, quelques chanceux à bicyclette. Des groupes d'enfants se rendant à l'école, en uniforme, égaillent un peu le paysage, les fillettes portent un noeud rouge dans les cheveux.
Des centaines de femmes en costume traditionnel aux couleurs très vives, fardées et sagement alignées patientent stoïquement sous un soleil de plomb, face à leurs « maris », c'est-à-dire des centaines d'employés ferroviaires en uniforme.
Tous attendent, debout, la venue des grands chefs. Finalement, le président des chemins de fer russes (RZD), Vladimir Yakounine, fait son apparition aux côtés du ministre des Transports ferroviaires nord-coréen, Jeong Gil Su, le seul homme aperçu ce jour-là qui affichait un embonpoint certain.
Vladimir Yakounine est arrivé en retard : faute d'avoir reçu l'autorisation de survoler la Corée du Nord, il a dû poser son hélicoptère à la frontière russe et monter dans un autorail spécialement affrété.
Un petit groupe d'étrangers assiste également à l'inauguration : des diplomates et hommes d'affaires spécialement venus en train de Pyongyang.
Pour l'instant, une société russe (Mechel) aurait manifesté de l'intérêt pour exporter son charbon.
Au-delà de RZD, le regain d'intérêt de Moscou pour son ancien allié nord-coréen, avec lequel il partage une frontière d'à peine 19 km, pourrait se comprendre comme une tentative de briser le monopole de Pékin dans le rôle d'intermédiaire avec la Corée du Nord.
Pourtant, Gazprom, bien que contrôlé par le Kremlin, a refusé tout net de jouer à ce jeu-là. Le géant gazier a annoncé, à la mi-octobre, le gel de la construction prévue d'un gazoduc vers la Corée du Sud à travers le territoire de la République populaire démocratique de Corée (RPDC)... À Moscou cependant, ceux préférant avoir plusieurs fers au feu ne manquent pas.
Les États-Unis et l'UE ont introduit des sanctions sévères, qui interdisent tout transfert de technologie vers la RPDC, un État où l'idéologie officielle du Juche (prononcer « dchoutché »), singulier patchwork tricoté à partir de souverainisme, de militarisme et de racisme, cultive le culte extrême de la personnalité du leader, comme on sait. Mais ce que l'on sait moins, c'est que le marxisme-léninisme est passé de mode à Pyongyang, où le mot « communisme » a disparu de la constitution en 2009.
La Banque de Corée (Séoul) estime le PIB de la RPDC autour de 40 milliards de dollars, avec une croissance de 1,3 % en 2012. La dette de Pyongyang est évaluée à 20 milliards de dollars. Le pays connaît un déficit chronique de la balance commerciale, avec, en 2012, 5 milliards de dollars d'importations, contre 3,35 millions de biens exportés.
En matière agricole, seules 17 % des terres sont arables et leur rendement deux fois moindre que celui de la Corée du Sud en raison de leur pauvreté, du déficit d'engrais, de compétences agronomiques et d'équipements motorisés. Quoi d'étonnant dès lors que le pouvoir ne parvienne pas à nourrir sa population.
La Chine est le principal partenaire commercial avec 80 % des échanges (6 milliards de dollars en 2011), suivie par la Corée du Sud, le Japon et la Russie. La Chine est également le premier investisseur dans le pays, avec près de 140 entreprises chinoises présentes. Les Chinois sont avides des métaux rares. Et la RPDC n'en manque pas : le groupe minier sud-coréen Korea Resources estime à 6.000 milliards de dollars la valeur des gisements.
La France est un des seuls pays européens à ne pas avoir d'ambassade en Corée du Nord. Les échanges commerciaux ne dépassent pas la dizaine de millions de dollars par an.
« Les douaniers nord-coréens s'arrogent le droit de les confisquer », explique un douanier russe, qui glisse une mise en garde : « Ne laissez rien traîner de précieux dans le train si vous en sortez. Ils ont tendance à prendre ce qui leur plaît. Ils considèrent ça comme des cadeaux. »Le train s'ébranle enfin, mais pour rouler très lentement sur toute la longueur du trajet, offrant la possibilité d'observer confortablement ce pays secret. Les Nord-Coréens observent eux aussi le train. On lit la stupeur dans leurs yeux. La plupart délaissent leurs activités pour regarder.
De toute évidence, les trains de passagers sont une rareté dans la région. Les gares traversées paraissent à moitié abandonnées. Aucun wagon de voyageur n'est visible, juste des wagons de fret russes et parfois un minuscule wagon nord-coréen qui semble être resté immobile depuis les années 1950.
Les bâtiments, qu'ils soient d'habitation ou administratifs, trahissent le délabrement. À proximité d'une ville de quelque importance (Sonbong), apparaît un vaste complexe pétrochimique. Pas une seule des dizaines de cheminées ne laisse échapper de fumée. Le site industriel semble en friche depuis des lustres.
Les villages parsemant notre parcours se ressemblent les uns les autres : des bâtiments blancs, sans étage, surmontés de petites cheminées. Ils semblent tous sortis du même moule et respirent la vétusté. Mais c'est l'observation des Nord-Coréens eux-mêmes qui est bien plus révélatrice de l'état du pays. Tous sans exception paraissent flotter dans leurs vêtements. Même les innombrables militaires et policiers, en faction tout au long du parcours du train. Comme si leurs uniformes étaient trop grands pour eux. Sont-ils naturellement tous maigres ou... faméliques ?
Sur les routes longeant la voie ferrée, les véhicules sont très rares. Les gens se déplacent à pied, quelques chanceux à bicyclette. Des groupes d'enfants se rendant à l'école, en uniforme, égaillent un peu le paysage, les fillettes portent un noeud rouge dans les cheveux.
36 heures de voyage... pour faire (seulement) 600 km
Finalement, le train parvient sur le site de Rason (anciennement Rajin-Sonbong). Un modeste port comptant sept grues hors d'âge. Seule la jetée et la ligne de chemin de fer sont neuves.Des centaines de femmes en costume traditionnel aux couleurs très vives, fardées et sagement alignées patientent stoïquement sous un soleil de plomb, face à leurs « maris », c'est-à-dire des centaines d'employés ferroviaires en uniforme.
Tous attendent, debout, la venue des grands chefs. Finalement, le président des chemins de fer russes (RZD), Vladimir Yakounine, fait son apparition aux côtés du ministre des Transports ferroviaires nord-coréen, Jeong Gil Su, le seul homme aperçu ce jour-là qui affichait un embonpoint certain.
Vladimir Yakounine est arrivé en retard : faute d'avoir reçu l'autorisation de survoler la Corée du Nord, il a dû poser son hélicoptère à la frontière russe et monter dans un autorail spécialement affrété.
Un petit groupe d'étrangers assiste également à l'inauguration : des diplomates et hommes d'affaires spécialement venus en train de Pyongyang.
« Le voyage fut horriblement long, 36 heures pour seulement 600 km, soupire l'un d'entre eux. Mais je suis quand même très content d'être là. Nous avons si rarement l'occasion de sortir de la capitale ! »Dans les collines environnantes, à quelques centaines de mètres du port, des villageois observent discrètement la cérémonie. Des policiers ne tardent pas à les chasser : ils doivent rester invisibles.
Un Kremlin volontaire...
Vladimir Yakounine prend la parole pour tracer les contours du projet. RZD, qui appartient à 100 % à l'État russe, et le ministère des Chemins de fer nord-coréens ont conjointement investi 207,5 millions d'euros dans la reconstruction de la voie ferrée (126,8 millions) et dans le port de Rason (80,7 millions). Une société commune, RasonKonTrans, a été créée pour opérer la ligne. Tout ça pour transporter du charbon russe vers le marché chinois.Pour l'instant, une société russe (Mechel) aurait manifesté de l'intérêt pour exporter son charbon.
« C'est la route la plus courte depuis l'Eurasie vers la Chine », assure Vladimir Yakounine, qui prédit la construction prochaine de deux terminaux portuaires, l'un pour les containers, l'autre pour les produits pétroliers.Sur place, les questions ne manquent pas. Mais pourquoi donc développer un port en Corée du Nord au lieu des ports russes sur le Pacifique (Vladivostok, Nakhodka, Vanino) ?
« Les ports russes sont saturés », estime Iouri Loskoutnikov, ingénieur chez RZD. En fait, « c'est un projet politique », admet un dirigeant de RJDstroi, la filiale du monopole d'État russe du rail chargée de la construction de lignes.La poignée de diplomates et d'hommes d'affaires présents sur place abondent dans son sens.
... pour un Gazprom qui refuse de jouer le jeux
Et puis Vladimir Yakounine n'est pas un investisseur comme les autres. C'est un homme politique ambitieux désirant se donner une stature internationale. Solidement épaulé par son vieil ami Vladimir Poutine, il n'a pas peur de faire risquer des sommes colossales à son entreprise, car elles sont épongées avec magnanimité par le budget russe.Au-delà de RZD, le regain d'intérêt de Moscou pour son ancien allié nord-coréen, avec lequel il partage une frontière d'à peine 19 km, pourrait se comprendre comme une tentative de briser le monopole de Pékin dans le rôle d'intermédiaire avec la Corée du Nord.
Pourtant, Gazprom, bien que contrôlé par le Kremlin, a refusé tout net de jouer à ce jeu-là. Le géant gazier a annoncé, à la mi-octobre, le gel de la construction prévue d'un gazoduc vers la Corée du Sud à travers le territoire de la République populaire démocratique de Corée (RPDC)... À Moscou cependant, ceux préférant avoir plusieurs fers au feu ne manquent pas.
Une politique internationale qui complique la sérénité des affaires
Aujourd'hui certes, il est difficile de parler affaires sur fond d'incessantes crises diplomatiques provoquées par Pyongyang et de l'épouvantable situation humanitaire nord-coréenne. La RPDC est un modeste marché de 24 millions d'habitants paupérisés, voire affamés suivant les régions et les saisons. L'industrie est laminée par l'isolationnisme, les ressources naturelles limitées, ou hors d'atteinte, et la liberté d'entreprendre quasi nulle.Les États-Unis et l'UE ont introduit des sanctions sévères, qui interdisent tout transfert de technologie vers la RPDC, un État où l'idéologie officielle du Juche (prononcer « dchoutché »), singulier patchwork tricoté à partir de souverainisme, de militarisme et de racisme, cultive le culte extrême de la personnalité du leader, comme on sait. Mais ce que l'on sait moins, c'est que le marxisme-léninisme est passé de mode à Pyongyang, où le mot « communisme » a disparu de la constitution en 2009.
80% des échanges se font avec la Chine
En matière économique, l'autarcie est le maître mot, avec une planification et une centralisation rigide. Le résultat ? Une catastrophe : avec un PIB par habitant de 1.800 dollars, le pays est classé parmi les dix plus pauvres du monde par l'ONU. Les données macroéconomiques sont parcellaires et peu fiables.La Banque de Corée (Séoul) estime le PIB de la RPDC autour de 40 milliards de dollars, avec une croissance de 1,3 % en 2012. La dette de Pyongyang est évaluée à 20 milliards de dollars. Le pays connaît un déficit chronique de la balance commerciale, avec, en 2012, 5 milliards de dollars d'importations, contre 3,35 millions de biens exportés.
En matière agricole, seules 17 % des terres sont arables et leur rendement deux fois moindre que celui de la Corée du Sud en raison de leur pauvreté, du déficit d'engrais, de compétences agronomiques et d'équipements motorisés. Quoi d'étonnant dès lors que le pouvoir ne parvienne pas à nourrir sa population.
« C'est un étrange pays où, d'un côté, des paysans vivent quasiment au Moyen Âge et de l'autre des ingénieurs conçoivent des fusées de longue portée », observe un diplomate européen basé à Pyongyang, rencontré sur le port de Rason.
Une main-d'oeuvre nord coréenne "ultra bon marché"
La seule ressource qui retient l'attention des investisseurs étrangers, c'est la main-d'oeuvre ultra bon marché. Dans une tentative de relance d'une économie moribonde, Pyongyang a trouvé un compromis avec ses deux principaux voisins, la Chine et la Corée du Sud. Trois zones industrielles spéciales ont poussé aux frontières du pays, soigneusement isolées du reste du pays.« Le régime est terrifié à l'idée que la libéralisation économique s'accompagne d'une demande de plus grande liberté politique, explique le diplomate. Aujourd'hui, la grande majorité de la population n'a qu'une très vague idée de ce qui se passe à l'étranger, mais le régime a de plus en plus de mal à contenir l'information. »La zone spéciale la plus aboutie est celle de Kaesong, où 123 entreprises sud-coréennes emploient 53 000 Nord-Coréens avec des salaires de misère (160 dollars en moyenne). Aucune entreprise européenne n'a pour l'instant directement accès à ces zones spéciales.
La Chine est le principal partenaire commercial avec 80 % des échanges (6 milliards de dollars en 2011), suivie par la Corée du Sud, le Japon et la Russie. La Chine est également le premier investisseur dans le pays, avec près de 140 entreprises chinoises présentes. Les Chinois sont avides des métaux rares. Et la RPDC n'en manque pas : le groupe minier sud-coréen Korea Resources estime à 6.000 milliards de dollars la valeur des gisements.
La France est un des seuls pays européens à ne pas avoir d'ambassade en Corée du Nord. Les échanges commerciaux ne dépassent pas la dizaine de millions de dollars par an.
Selon une source diplomatique française, « seul le groupe Lafarge est présent : il s'est retrouvé indirectement propriétaire de 30 % d'une cimenterie nordcoréenne employant 3.000 personnes, après avoir acheté la division ciment du groupe égyptien Orascom »...À Rason, en tout cas, il faudra beaucoup de ciment pour construire les deux nouveaux terminaux portuaires, pour les containers et les produits pétroliers. Encore faudra-t-il que Pyongyang le décide un jour.
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