Rétrospective
éblouissante, à la Fondation Beyeler de Bâle, de ce peintre qui
interprète le monde comme un rêve. Ou comme un cauchemar ?
Max Ernst
était né «dépaysé», «oiseau fugitif déguisé en homme, toujours essayant
de s'élever au-dessus du monde extérieur», écrit en romancier Henry
Miller, Américain lui aussi d'origine allemande, en 1942. Cette citation
est chère à Werner Spies,
expert de ce mutant aux multiples ruptures de style, éclaboussé à ce
titre par l'affaire Wolfgang Beltracchi. C'est tout l'art de la Fondation Beyeler
que de dépasser le scandale des faux Max Ernst, de ne garder que le
savoir de Werner Spies et de réunir, grâce à lui, le plus beau d'un
immense artiste. Riche d'icônes sorties de leurs musées (Le Jardin de France, 1962, ode sensuelle prêtée par le Centre Pompidou) et de merveilles secrètes des collections suisses (la série de collages originaux de La Femme 100 têtes, 1929), cette rétrospective est de toute beauté.
En 165 œuvres incontestées, toutes présentes dans le volume I du Catalogue raisonné, voilà une promenade prodigieuse dans l'art moderne. Dans le XXe siècle et ses révolutions formelles. De l'Allemagne dada, anticléricale et contestatrice d'avant-guerre au Paris surréaliste, lettré, codé d'André Breton - et celui de son ménage à trois avec Paul et Gala Éluard. De l'Amérique excentrique, diablement cultivée, de Peggy Guggenheim à l'Arizona bohème partagé avec la peintre et joueuse d'échecs Dorothea Tanning. Dans cette lumière toujours si belle de la Fondation Beyeler, l'accrochage de ce qui est devenu trésor muséal retrouve sa fraîcheur insolente, sa vie inventive et moqueuse, sa totale liberté jusqu'au bout du cauchemar ou de l'érotisme que l'argent ne brime pas (La Toilette de la mariée, 1940, sa créature à trois yeux sortie pour l'occasion de la collection Peggy Guggenheim de Venise).
L'énigme Max Ernst (1891-1976) se lit simplement, comme Shakespeare raconté par Charles Lamb, dans ce livre d'images, chronologique pour la peinture, thématique pour la sculpture (le bronze monumental du Capricorne, 1962-1964, vous accueille à défaut du plâtre de la collection Pietzsch qui ne quitte plus Berlin). «Max Ernst n'est pas un peintre virtuose comme Dali, souligne en strict historien de l'art le jeune Raphaël Bouvier. C'est un alchimiste.» Un illusionniste qui absorbe tout dans sa «formidable mémoire visuelle»: les paysages fantasmagoriques des Flamands, les tours de Babel de Breughel, les ornements exotiques de Gustave Moreau, les forêts du romantisme allemand le plus noir, le symbolisme d'Odilon Redon, les animaux mauves et rouges du jeune Chagall. Il interprète le passé de l'art et le fait sien, le plongeant dans son chaudron original pour composer des tableaux rébus entre contes et prophéties (La Joie de vivre, 1936, «jungle» joliment menaçante venue du musée d'Édimbourg).
La grande salle de la Fondation Beyeler est celle des consécrations. Grattage, frottage, décalcomanie, peinture au fil. Là, avec la perspective ouverte sur la campagne allemande si proche, voici les forêts des années 1920, grands formats où la forêt pétrifiée est une forteresse noire, où ronces et architectures en ruines luisent sous
l'anneau d'une lune étrange comme chez Arnold Böcklin le symboliste. Parfois, un oiseau y survit en pointillés, dans sa cage fine. C'est l'animal totem de l'artiste, sa signature et sa résistance dans un monde qui s'assombrit. Dix ans plus tard, il peindra les villes entières comme des mausolées mayas. Au premier plan ne demeurent que de petits carnivores.
«Rétrospective Max Ernst», Fondation Beyeler, Bâle, jusqu'au 8 septembre. www.fondationbeyeler.ch
En 165 œuvres incontestées, toutes présentes dans le volume I du Catalogue raisonné, voilà une promenade prodigieuse dans l'art moderne. Dans le XXe siècle et ses révolutions formelles. De l'Allemagne dada, anticléricale et contestatrice d'avant-guerre au Paris surréaliste, lettré, codé d'André Breton - et celui de son ménage à trois avec Paul et Gala Éluard. De l'Amérique excentrique, diablement cultivée, de Peggy Guggenheim à l'Arizona bohème partagé avec la peintre et joueuse d'échecs Dorothea Tanning. Dans cette lumière toujours si belle de la Fondation Beyeler, l'accrochage de ce qui est devenu trésor muséal retrouve sa fraîcheur insolente, sa vie inventive et moqueuse, sa totale liberté jusqu'au bout du cauchemar ou de l'érotisme que l'argent ne brime pas (La Toilette de la mariée, 1940, sa créature à trois yeux sortie pour l'occasion de la collection Peggy Guggenheim de Venise).
L'énigme Max Ernst (1891-1976) se lit simplement, comme Shakespeare raconté par Charles Lamb, dans ce livre d'images, chronologique pour la peinture, thématique pour la sculpture (le bronze monumental du Capricorne, 1962-1964, vous accueille à défaut du plâtre de la collection Pietzsch qui ne quitte plus Berlin). «Max Ernst n'est pas un peintre virtuose comme Dali, souligne en strict historien de l'art le jeune Raphaël Bouvier. C'est un alchimiste.» Un illusionniste qui absorbe tout dans sa «formidable mémoire visuelle»: les paysages fantasmagoriques des Flamands, les tours de Babel de Breughel, les ornements exotiques de Gustave Moreau, les forêts du romantisme allemand le plus noir, le symbolisme d'Odilon Redon, les animaux mauves et rouges du jeune Chagall. Il interprète le passé de l'art et le fait sien, le plongeant dans son chaudron original pour composer des tableaux rébus entre contes et prophéties (La Joie de vivre, 1936, «jungle» joliment menaçante venue du musée d'Édimbourg).
Une forteresse noire
Ce fils de Cologne la bourgeoise est le peintre de la métamorphose, des collages surréalistes des années 1920 aux jardins pleins de chimères qui annoncent la Seconde Guerre mondiale (La Nymphe Écho, 1936, verdure inquiétante venue du MoMA). Sous son pinceau aventureux, les doigts deviennent des jambes fuselées (Au premier mot limpide, 1923, trésor décollé des murs de la maison Éluard et conservé à Düsseldorf), les corps se démontent comme des machines (Santa Conversazione, collage de 1921). Le génie a cette impudence de se montrer d'emblée. Et les premières salles de cette rétrospective vous attrapent comme les cinq premières minutes d'un grand film d'Antonioni (La Puberté proche…(The Pléiades), 1921, nu aguicheur détourné par la grâce du peintre en mirage poétique).La grande salle de la Fondation Beyeler est celle des consécrations. Grattage, frottage, décalcomanie, peinture au fil. Là, avec la perspective ouverte sur la campagne allemande si proche, voici les forêts des années 1920, grands formats où la forêt pétrifiée est une forteresse noire, où ronces et architectures en ruines luisent sous
l'anneau d'une lune étrange comme chez Arnold Böcklin le symboliste. Parfois, un oiseau y survit en pointillés, dans sa cage fine. C'est l'animal totem de l'artiste, sa signature et sa résistance dans un monde qui s'assombrit. Dix ans plus tard, il peindra les villes entières comme des mausolées mayas. Au premier plan ne demeurent que de petits carnivores.
«Rétrospective Max Ernst», Fondation Beyeler, Bâle, jusqu'au 8 septembre. www.fondationbeyeler.ch
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