Si le mouvement «Occupy Central» a un visage, c’est bien celui de Joshua Wong Chi-fung, petit génie précoce de la politique de 17 ans, devenu une bête noire du régime communiste chinois. Scholarism, le syndicat d’étudiants et de lycéens qu’il a fondé en 2012, à 15 ans, a donné la semaine dernière, avec une autre formation étudiante, le coup d’envoi du mouvement de désobéissance civile qui secoue Hongkong, en inaugurant, avec des centaines d’étudiants, le sit-in de Central. Puis vendredi, à la tête de ses troupes, Wong s’est lancé à l’assaut d’une barrière de policiers. Arrêté avec une dizaine d’autres de ses camarades, il a été gardé à vue deux jours avant d’être relâché. Sa petite chambre à l’Open University de Hongkong a entre-temps été perquisitionnée par la police (un de ses ordinateurs a été saisi) avec la minutie qu’on accorde généralement aux grands criminels recherchés. «Mes parents, ils me laissent faire ce que je veux», lâche cet ado maigrichon chaussé de lunettes en écailles noires, qui s’exprime avec la détermination d’un orateur accompli.


Au cours des nombreux débats politiques télévisés auxquels il a participé sur le réseau local RTHK, sa repartie en a fait taire plus d’un. Il a assuré que son nom figure sur la liste noire du ministère chinois de la Sécurité, où il serait présenté comme une grave menace pour le Parti communiste. Il y a de grandes chances pour que ce soit vrai. Le Wen Wei Po, l’un des journaux procommuniste de Hongkong, a pris la peine, la semaine dernière, de consacrer une page entière à un «exposé» visant à démontrer que l’adolescent est un agent américain. Selon le quotidien, les «forces US» auraient identifié le grand potentiel de Wong en 2011 et feraient tout depuis pour le transformer en «superstar politique». Lui et sa famille se seraient rendus à Macao «invité par la Chambre de commerce américaine» et auraient passé la nuit dans l’hôtel Venician «qui est la propriété d’un Américain», etc. «Bien sûr, tout est faux dans cet article», a tweeté le très jeune Wong qui aura 18 ans le 13 octobre.
Joshua Wong durant une grève à l'université chinoise de Hongkong, le 22 septembre.
Joshua Wong, le 22 septembre à Hongkong. (Photo Xaume Olleros. AFP)
«Lavage de cerveau». Son premier combat militant, à 15 ans, se fait contre l’introduction de cours de «patriotisme» dans les écoles primaires et secondaires, qui venait d’être annoncée par le gouvernement hongkongais. Le «matériel éducatif» destiné aux élèves faisait peu de cas de la vérité historique. Intitulé «le Modèle chinois», il passait sous silence la grande famine de 1958-1962 qui a fait 45 millions de morts, les persécutions de la Révolution culturelle (1966-1976) et la répression de Tiananmen en 1989. Aux cris de «non au lavage de cerveau de nos enfants», une mobilisation phénoménale attisée par Wong et son syndicat, Scholarism, submergent les autorités avec des manifestations de plus de 100 000 personnes. Joshua Wong en tête, un millier d’étudiants campent une semaine durant devant les bâtiments de l’administration. Prenant modèle sur le mouvement de Tiananmen, une poignée d’étudiants se sont mis en grève de la faim et une statue de la «déesse de la démocratie» a été érigée. Face à une telle levée de boucliers, le chef de l’exécutif de Hongkong, Leung Chun-ying, a fini par renoncer à imposer ces cours auxquels Pékin tenait tant. «Il faut mener chaque bataille comme si c’était la dernière… Il n’y a que comme ça qu’on se forge une vraie volonté de combattre», déclarait Wong la semaine dernière sur la chaîne américaine CNN.
«Opération oiseau jaune». Joshua Wong est inspiré par plusieurs autres personnalités qui charpentent la «révolution des parapluies» et elles ne sont pas nées de la dernière pluie. Notamment le révérend baptiste Chu Yiu-ming, 70 ans, qui avait été l’une des principales chevilles ouvrières de l’«opération oiseau jaune», en 1989. Ultrasecrète, celle-ci avait consisté à acheminer clandestinement à Hongkong les leaders étudiants fuyant la répression de Tiananmen, avant de les envoyer en France.
Benny Tai Yiu-Ting, 50 ans, est quant à lui le cofondateur du mouvement Occupy Central. Professeur de droit à l’université de Hongkong depuis les années 90, il reçoit désormais, en raison de son militantisme, des menaces de mort. L’autre cofondateur d’Occupy Central, Chan Kin-man, 55 ans, est également professeur (de sociologie), spécialisé dans l’étude de la société civile en Chine continentale. Naguère considéré comme un modéré, Chan juge que seule la désobéissance civile peut faire avancer la démocratie à Hongkong.

Philippe GRANGEREAU (à Hongkong)